« Si Freud a demandé à la femme qu’elle parle et qu’elle
rompe ainsi avec un esclavage qui durait depuis des siècles, celui du silence,
Grupo Cero demande à la femme qu’elle écrive, et qui sait quelles peuvent en être les conséquences. » Alejandra Menassa
« Toute révolution a eu son poète, la femme est en train
de chercher le sien. » Miguel Menassa
J’admets
que je me suis rarement retrouvée dans une entreprise aussi difficile. La femme
dans la littérature est un titre trop ambitieux et trop vaste. Cette fois, pour
avoir participé plus qu’activement à la création du programme, je ne peux pas
protester contre les organisateurs. Attachons-nous au terme « littérature ». En
tant que prologue à son Interprétation des rêves, Freud a inclus une section intitulée
Littérature scientifique concernant les problèmes du rêve, où il passe en revue
les approximations scientifiques concernant les rêves qui avaient été écrites
jusqu’alors. La littérature a donc acquis un sens circonscrit à la science
grâce à l’adjectif scientifique. Si on ne l’adjective pas, comme c’est le cas
du titre de la classe, cela nous permet d’englober dans la littérature toute
production humaine écrite : la poésie, la mythologie, les contes, le roman, et
également la littérature scientifique. Mon travail s’avérait trop vaste, j’ai
donc décidé de le réduire dans ce vaste univers.
La femme dans la littérature peut être vue comme la femme en tant qu’objet
littéraire, c’est-à-dire comment les écrivains ont travaillé la femme tout au
long de l’histoire, où le rôle de la femme dans le processus
artistico-littéraire ne peut aller au-delà de l’inspiration, si nous pensons à
l’inspiration comme matière première avec laquelle l’artiste formule son œuvre.
Elle était l’inspiration, la muse, la Laure de Pétrarque, la Béatrice de Dante,
la Isabel Freyre de Garcilaso de la Vega. Mais c’était l’homme qui la formulait
et qui lui donnait vie. La femme dans la littérature peut également être vue
comme sujet actif de l’écriture. La femme écrivain. C’est ainsi que Grupo Cero
voit la femme.
Pour faire cette réduction dans ce vaste monde de la littérature, j’ai eu
l’idée de me demander comment j’avais commencé à m’intéresser à cette question
de la femme.
Le thème de la femme dans la littérature m’intéresse sûrement depuis très
longtemps. Il ne m’intéresse pas uniquement parce que je suis une femme, il
m’intéresse également pour la femme en tant qu’objet d’étude théorique. Je me
rappelle que quand j’avais 14 ans notre professeur de littérature avait une
phrase mémorable pour expliquer le plus grand mélange de races qui a eu lieu en
Amérique entre les conquistadors espagnols aguerris et les belles et exotiques
indiennes : « lorsqu’il voit un cul, la couleur n’a pas d’importance pour le
mâle espagnol ». Très prosaïque. En plus de cette phrase mémorable, ce
professeur nous a également dit qu’il y avait une subtile compréhension de
l’âme féminine dans Pepita Jiménez, écrit par le romancier espagnol Juan Valera
en 1873. Cette affirmation a suscité ma curiosité et, puisque j’avais
l’habitude d’aller à la source, je me suis dirigée vers ce livre. Je
n’apporterai qu’un seul fragment de ce texte, pour que nous voyions ce qu’est
pour certains esprits, en rien exempts de préjugés, la subtilité de l’âme
féminine. L’œuvre relate l’amour passionné de Pepita, la protagoniste, pour Don
Luis, le curé du village :
Nous
aimons beaucoup Pepita ; mais la vérité passe avant tout, et nous devons la
dire, même si cela nuit à notre héroïne. À huit heures, Antoñona lui a dit que
don Luis allait venir, et Pepita, qui parlait de mourir, qui avait les yeux
allumés et les paupières un peu enflammées à force de pleurer, et qui était
assez décoiffée, ne pensait depuis lors qu’à se recomposer et à se préparer
pour recevoir don Luis. Elle s’est lavé le visage avec de l’eau tiède pour
faire disparaître les ravages provoqués par les pleurs, jusqu’au point de ne
plus l’enlaidir, mais non pas pour qu’il ne reste plus aucune trace qui
prouvent qu’elle avait pleuré ; elle s’est coiffée de sorte à ce qu’on ne pense
pas qu’elle y ait attaché une grande importance, mais de façon à ce que ses
cheveux montrent une certaine négligence artistique et belle, sans friser le
désordre, ce qui aurait été peu convenable ; elle s’est poli les ongles et,
puisqu’il n’était pas approprié de recevoir don Luis en robe de chambre, elle
s’est vêtue d’une robe simple. Pour finir, elle a regardé instinctivement à ce
que tous les détails de sa toilette contribuent à la rendre plus jolie et
prête, sans que ne transparaisse le moindre indice de l’art, du travail et du
temps dépensés pour lui donner ces profils, mais que tout cela resplendisse
comme une œuvre naturelle et un don gratuit ; comme quelque chose qui
persistait en elle, malgré l’oubli d’elle-même, provoqué par la véhémence des
sentiments.
Après
l’avoir lu, j’étais assez déçue, même si après cette phrase mémorable, je ne
sais pas pourquoi, je m’attendais à un meilleur résultat de la lecture de ce
livre. Je me demandais si cette essence de l’âme féminine se réduisait à ce jeu
de séduction.
Christine de Pizan (1364), qui a promu la Querelle des femmes ― mouvement qui a
invité les plus importants intellectuels de l’époque à réfléchir à la position
sociale de la femme ―, avait déjà répondu :
Si
c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur faire
apprendre méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles
apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes
les sciences tout aussi bien qu’eux. […] puisque les femmes ont le corps plus
délicat que les hommes, […] elles ont l’intelligence plus vive et plus
pénétrante là où elles s’appliquent. Le moment est arrivé que les lois sévères
des hommes cessent d’interdire aux femmes l’étude des sciences et d’autres
disciplines. Il me semble que celles d’entre nous qui puissent profiter de
cette liberté, convoitée pendant autant de temps, doivent étudier pour prouver
aux hommes qu’ils avaient tort de nous priver de cet honneur et de ce bénéfice.
Et si une femme apprend suffisamment pour écrire ses pensées, qu’elle le fasse
et qu’elle ne méprise pas l’honneur, mais plutôt qu’elle l’exhibe, au lieu
d’exhiber de beaux vêtements, des colliers ou des bagues. Ces bijoux nous
appartiennent parce que nous les utilisons, mais l’honneur de l’éducation nous
appartient complètement.
J’ai
continué à chercher une réponse, ou de nombreuses réponses, ou peut-être que
j’ai formulé de nouvelles questions. Je suis parvenue jusqu’à un autre
professeur, Leopoldo de Luis, qui a remporté le Prix national de littérature et
de poésie, et qui a écrit : Je pense que pour moi, la femme existerait en trois
versions : la sirène, qui est celle qui nous enchante et nous réconforte ; la
mère, qui est celle qui nous accueille parce qu’elle est la patrie et la
nature-même ; et la jeune fille, qui est celle qui tombe amoureuse et dont on
tombe amoureux. Il y a également une autre façon de le voir, comme Ève qui est
la création, Hélène qui est la femme fatale, Sophie qui est la sagesse, ou
Marie qui est la vertu, la tendresse, l’accueil amoureux. Il me semble
qu’aujourd’hui, ou cela a peut-être toujours été le cas, on exige que la femme
soit toutes ces femmes à la fois.
D’un autre côté, il y a également la liberté, la fraternité, la justice, qui
sont toutes des femmes. Cependant, ce n’est pas pour cela que toutes les femmes
sont libres, fraternelles et justes, comme on le pense parfois.
Les livres de texte sur la littérature, ceux que l’on enseigne à l’école, ont
pour la plupart dû être écrits par des hommes, puisqu’ils semblent avoir oublié
la production féminine. En effet, qui ne connaît pas Gonzalo de Berceo, Juan
Ruiz, Alphonse X le Sage, Don Juan Manuel, le Marquis de Santillane, Pétrarque
et Jorge Manrique, entre autres ? Ils figurent tous dans les livres de texte.
Cependant, ces livres oublient ou réduisent au silence Héloïse d'Argenteuil,
Beatritz comtesse de Die, Marie de Ventadour ou Marie de France, qui ont écrit
à la même époque et qui, comme Marie de France, ont même créé des genres
littéraires qui ont ensuite été suivis par les hommes.
Durant le Siècle d'or espagnol, aux XVIe et XVIIe siècle (Renaissance et
Baroque), il faut souligner parmi les hommes les noms de Garcilaso de la Vega,
Luis de León, Jean de la Croix, Miguel de Cervantes, Luis de Góngora, Francisco
de Quevedo y Villegas, Lope de Vega et Pedro Calderón de la Barca. Parmi les
femmes, il faut en souligner deux : Sainte Thérèse d'Ávila et Sœur Juana Inés
de la Cruz.
À l’époque, il était anormal qu’une femme écrive. Il était encore plus extrême
qu’une religieuse se consacre à la création de littérature séculaire, ce qui a
provoqué l’effroi des autorités ecclésiastiques au Mexique du XVIIe siècle.
Afin d’exclure la femme du domaine littéraire, un réseau discursif complexe
opérait, principalement par l’intersection de deux de ces discours : le
moraliste-religieux et le médical. Du point de vue moraliste-religieux, une
connexion s’est établie entre la circulation de l’écriture et la vie publique,
dont la femme décente était exclue. Catherine Gallagher a dit : « Au XVIIe
siècle, on ne différenciait presque pas les mots "public" et
"publication". Dès lors, une femme qui publiait était automatiquement
considérée comme "une femme publique". La femme qui partageait
publiquement ses pensées au lieu de les garder uniquement pour son mari était
littéralement, et non métaphoriquement, en train de faire du trafic avec sa
propriété sexuelle ».
Sœur Juana Inés de la Cruz a été victime de nombreux ecclésiastiques qui n’ont
pas du tout approuvé sa vie littéraire publique, elle a été passée sous silence
et elle est finalement morte à l’intérieur des murs du convent de San Jerómino.
Néanmoins, ses paroles se sont échappées et ont traversé l’Atlantique pour être
publiées et circuler en Espagne et ailleurs.
En plus de la théorie moraliste-religieux, un autre argument de ce réseau
discursif opposé à l’activité intellectuelle féminine venait de la médecine.
Selon cette tradition discursive, la femme ne pouvait physiquement pas
participer à la vie intellectuelle avec les hommes, à cause de différences et
de déficiences dans sa constitution d’humeurs. Selon Juan Huarte de San Juan,
les femmes, « en raison de leur froideur et de l’humidité de leur sexe, ne
peuvent atteindre un grand esprit. Nous voyons seulement qu’elles parlent avec
une apparence d’habilité à propos de sujets légers et faciles, avec des termes
communs et très étudiés. Mais une fois qu’elles s’impliquent dans les lettres,
elles ne peuvent rien apprendre d’autre qu’un peu de latin, et ce grâce à la
mémoire. Elles ne sont pas coupables de cette grossièreté, mais la froideur et
l’humidité qui ont fait d’elles des femelles sont les mêmes qualités dont on a
prouvé qu’elles contredisent l’intelligence et l’habilité. »
L’un
des panégyristes du Deuxième volume des œuvres de Sœur Juana Inés de la Cruz
salue la religieuse en disant : « en fait c’est un homme, et des plus barbus ».
Je
vous transcris un poème connu de Sœur Juana Inés de la Cruz, pour illustrer mon
propos :
Elle
argumente d’incohérent le goût
Et la censure des hommes qui
Accusent les femmes de ce qu’ils provoquent
Hommes stupides qui accusez
Les femmes sans raison,
Sans voir que vous êtes l’occasion
De la même chose que vous accusez
Si avec anxiété sans égale
Vous sollicitez leur dédain,
Pourquoi voulez-vous qu’elles agissent bien
Si vous les incitez au mal?
Vous combattez leur résistance
Et ensuite, avec gravité,
Vous dites que ce fut la légèreté
Ce qui a fait la diligence.
Vous voulez, avec une présomption stupide,
Trouver celle que vous cherchez,
Pour la femme courtisée, Tais,
Et en la possession, Lucrèce.
Quelle humeur peut être plus bizarre
que celle qui manque de conseil,
elle-même embue le miroir,
et est désolée parce que ce n’est pas clair?
Avec la faveur et le dédain
Vous avez la même condition,
En vous plaignant, si elles vous traitent mal,
En vous moquant, si elles vous veulent du bien.
Aucune opinion ne gagne;
Car celle qui se prive le plus,
Si elle ne vous admet pas, elle est ingrate,
Et si elle vous admet, elle est légère.
Vous êtes toujours aussi stupides
Qu’avec un niveau inégal,
Vous en accusez une d’être cruelle
Et une autre d’être facile.
Donc comment doit-elle être calme
Celle que veut votre amour,
Si celle qui est ingrate, offense,
Et celle qui est facile, fâche?
Mais, entre la colère et la peine
Que votre goût rapporte,
Pourvu qu’il y en ait une qui ne vous aime pas
Et que vous vous plaigniez en temps voulu.
Vos amantes font de la peine
À leurs libertés ailes,
Et après les avoir rendues mauvaises
Vous voulez les trouver très bonnes.
Quelle grande faute a eu
Dans une passion erronée:
Celle qui tombe, priée,
Ou celui qui prie, tombé?
Ou à qui faut-il reprocher plus de choses,
Même s’il fait un mal quelconque :
Celle qui pèche pour la paie,
Ou celui qui paie pour pécher?
Donc, pourquoi vous vous affolez
de la faute que vous avez ?
Aimez-les, comme vous les faites
Ou faites-les comme vous les cherchez.
Cessez de solliciter,
Et ensuite, avec plus de raison,
Vous accuserez le goût
De celle qui vous priera.
Avec beaucoup d’armes, j’ai prouvé
Que votre arrogance lutte,
Car dans vos promesses et vos demandes
Vous joignez le diable, la chaire et le monde.
Au
XVIIIe siècle, ou siècle des Lumières, nous avons le nom de nombreux écrivains,
comme Benito Jerónimo Feijoo, Diego de Torres Villarroel, Gaspar Melchor de
Jovellanos, José Cadalso, Leandro Fernández de Moratín et Tomás de Iriarte,
entre autres. Mais dans les livres de textes il n’y a aucune trace de femmes
écrivains, alors qu’il y avait Olympe de Gouges (1748), qui fut guillotinée en
temps que traître de la révolution car elle s’est opposée à la peine de mort du
roi Louis XVI et de sa famille. L’écrivain nous dit :
«
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ;
tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain
empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? […]
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout
l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus
environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le
flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de
l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir
aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa
compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont
les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus
marqué, un dédain plus signalé. […] Quelles que soient les barrières que l’on
vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le
vouloir. »
À la
même époque, en Espagne, et plus particulièrement à Saragosse, Josefa Amar y
Borbón écrivait :
«
Quand Dieu a livré le monde aux disputes des hommes, il a prévu qu’il y aurait
d’infinis points sur lesquels il y aurait toujours des altercations et pour
lesquels on ne serait jamais d’accord. L'un d'entre eux devait sûrement être la
compréhension des femmes. D'un côté les hommes cherchent leur approbation, ils
leur offrent des cadeaux, qu’ils ne s’offrent jamais entre eux ; ils ne les
autorisent pas le contrôle dans le public, et ils le leur concèdent entièrement
en secret ; ils leur refusent l'instruction, et puis se plaignent qu’elles ne
l'ont pas. Je dis leur refusent, parce qu'il n’y a aucun établissement public
destiné à l'instruction des femmes, ni aucun prix qui ne les pousse à cette
entreprise. […] »
Pour
le XIXe siècle, nous pouvons mettre en évidence Rosalía de Castro, qui nous
donne des observations intéressantes sur l’exercice de l’écriture pour une
femme de ce siècle :
« Être femme écrivain, quelle tourment continu ! Dans la
rue on te montre constamment du doigt, et pas de façon positive, et on chuchote
partout sur toi. Si tu vas à une réunion et que tu parles de quelque chose que
tu sais, si tu t’exprimes même dans un langage assez correct, ils t’appelleront
bachelière, ils disent que tu t’écoutes toi-même, que tu veux tout savoir. Si
tu gardes une prudente réserve, quelle fatwa! Quelle fierté! Tu refuses de
parler si ce n’est pas avec des lettrés. Si tu fais la modeste et pour ne pas
entrer dans de vaines disputes tu ne réponds pas aux questions avec lesquelles
on te provoque, où est donc ton talent ? Tu ne sais même pas divertir les gens
avec une conversation agréable. Si la société te plaît, tu veux te distinguer,
tu veux que l’on parle de toi, il n’y a pas de fonction sans Tarasque. Si tu
vis isolée du traitement des gens, c’est que tu fais ton intéressante, que tu
es folle, que ton caractère est atrabilaire et insupportable ; tu passes la
journée dans des évanouissements poétiques et la nuit à contempler les étoiles,
comme Don Quichotte. Les femmes mettent en relief jusqu’au plus caché de tes
défauts et les hommes ne cessent de te dire qu’il se peut qu’une femme avec du
talent soit une véritable calamité, qu’il vaut mieux se marier avec l’ânesse de
Balaam et que seule une idiote peut faire le bonheur d’un homme mortel. […],
que les femmes doivent laisser la plume et repasser les chaussettes de leur
mari, si elles en ont un, et sinon, au moins celles du domestique. C’est facile
pour certaines d’ouvrir l’armoire et de lui flanquer devant le nez les
ravaudages patiemment travaillés, pour lui prouver que le fait d’écrire
quelques pages ne les fait pas oublier à toutes leurs tâches ménagères […]
Uniquement quelqu’un qui a un véritable talent pourrait, en t’estimant pour ce
que tu vaux, mépriser les préoccupations idiotes et encore erronées, mais alors
gare à toi !, tout ce que tu écris ne t’appartient déjà plus, ton inspiration
s’est épuisée, c’est ton mari qui écrit et toi tu signes. […] En ce qui me
concerne, on dit souvent que mon mari travaille sans cesse pour me rendre
immortelle. […] Préoccupation qui fâche, tâche pénible, au fait, celle de mon
mari qui, même si cela lui demande déjà du travail d’écrire pour lui, il doit
en plus écrire les livres de sa femme. […] Mais, comment croire qu’elle puisse
écrire de telles choses ? Une femme qu’ils voient tous les jours, qu’ils
connaissent depuis qu’elle est petite, qu’ils ont entendue parler, pas en
andalou, mais de façon lisse et simple comme n’importe qui, peut-elle réfléchir
et écrire des choses qui n’ont jamais traversé l’esprit des hommes, même s’ils
ont étudié et qu’ils connaissent la philosophie, les lois, la rhétorique et la
poétique ? Impossible, on ne le croirait que si Dieu venait le dire. »
Emilia
Pardo Bazán n’a pas eu plus de chance avec les hommes. Elle a publié des
articles qui devaient s’intégrer dans le livre La question palpitante, dans
lequel elle explique le Réalisme et le Naturalisme. La publication de ce livre
a provoqué un grand scandale et son mari a exigé qu’elle cesse d’écrire et
qu’elle désavoue publiquement ses écrits. À cause de ses problèmes
matrimoniaux, Emilia a décidé de se séparer de son mari deux ans plus tard, en
1884.
Et pour finir, voici les paroles encourageantes de deux poètes qui ont pu
inclure le féminin dans leur discours : Miguel Menassa et Rainier María Rilke :
« La
femme doit formuler sa propre thèse de comment il faut vivre, comment il faut
travailler, et ce qu’il faut faire avec le produit du travail, parce qu’elle
est la seule qui puisse révolutionner le sens. Elle doit cesser d’être un objet
de désir et se transformer en un sujet qui désir. Les femmes ont participé aux
révolutions des hommes, mais n’ont jamais fait la leur. Ces processus ne leur
appartiennent pas. Elles avaient un rapport logique avec une façon masculine et
exclusive de penser la réalité. Les révolutions masculines ont déjà échoué. Le
christianisme a échoué, il faudrait revoir le marxisme parce qu’ils ont échoué
en essayant d’en faire une politique d’État et la société de confort du
capitalisme a également échoué. Aucune ne peut améliorer la vie des femmes et
des hommes. Nous sommes au même point qu’il y a 500 ans : un projet où la femme
puisse être protagoniste des mouvements qui sont à l’origine des changements
dans la société. Je ne sais pas comment elle sera, mais je pense qu’elle sera
commandée par la poésie. »
Miguel Oscar Menassa.
Et ce ne sont pas que des mots : le mouvement Grupo Cero, mené par l’écriture
de Menassa, possède une maison d’édition, qui dispose déjà de 64 auteurs, dont
40 femmes, et des 196 titres publiés, 140 ont été écrits par des femmes ou en
collaboration avec une femme.
De plus, chez Grupo Cero il n’y a pas de plafond de verre ni de mise en
portefeuille :
La directrice de Grupo Cero Buenos Aires est une femme.
La directrice de Grupo Cero Brésil est une femme.
La directrice d’enseignement est une femme.
La directrice de la Página de Poesía est une femme.
La directrice du magazine de Poesía Las 2001 Noches est une femme.
Les directrices des magazines Poesía y salud sont deux femmes.
La gérante de la maison d’édition est une femme.
La directrice du département presse est une femme.
La vice-présidente de la Juventud Grupo Cero est une femme.
Les directrices du département de médecine psychosomatique sont deux femmes.
« Un
jour la jeune apparaîtra, la femme apparaîtra. Et ces mots, jeune, femme, ne
signifieront plus seulement le contraire de l’homme, mais quelque chose de
propre, avec une valeur en soi ; pas un simple complément, mais une forme
complète de la vie ; la femme dans son authentique humanité. Ce progrès
transformera la vie aimante aujourd’hui tellement remplie d’erreurs (et ce,
malgré l’homme, qui au début sera dépassé). L’amour ne sera plus la relation
d’un homme et d’une femme, mais celui d’une humanité avec une autre. »
Rainer María Rilke
Traduit de l’espagnol par Pauline
Castel
Chapitre issu du livre La mujer del siglo XXI, una aproximación psicoanalítica.
Pierre Soulage
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire